La "dysphorie de genre", ce n'est peut être pas ce que vous croyez

@flobinson · 2019-03-18 11:18 · busy

Il y a un peu plus d'un mois, j'ai pris conscience, à la suite de trois semaines de cauchemars mêlant souvenirs traumatiques de l'enfance et visions de moi sous une autre apparence (neutre ou féminine) que j'avais refoulé depuis trop longtemps ce qu'on appelle une « dysphorie de genre » c'est-à-dire le sentiment d'inadéquation entre le sexe assigné à la naissance et mon identité de genre. Je mets des guillemets car beaucoup d'associations et de personnes concernées considèrent que l'expression « dysphorie de genre » est pathologisante et permet la psychiatrisation des personnes transgenres. Puis, comme le dit si bien une amie, "ce n'est pas la transidentité qui rend dépressif mais la transphobie et le cis-sexisme".

J'utiliserai néanmoins cette expression, justement pour montrer que la réalité qu'elle cherche à désigner n'est pas forcément celle qui nous est montrée dans de nombreux reportages assez racoleurs et malheureusement fort diffusés.

En effet, d'une part le monde médiatique cherche à montrer du spectaculaire pour des raisons d'audimat – je ne vous apprends rien. D'autre part, il est vrai que certains éléments des vécus trans sont difficiles à mettre en scène et à expliquer à un public.

Hélas, cette situation entraîne de fait une vision simpliste des transidentités, ce qui peut être dommageable pour les personnes en questionnement. Par exemple, le cliché de la personne trans comme « un garçon prisonnier dans le corps d'une fille » ou comme « une fille prisonnière dans le corps d'un garçon ».

Cette description binaire ne correspond pas à tous les vécus. Sur facebook, un groupe aux personnes non-binaires francophone rassemble plus de 3700 membres. Parmi celleux-ci, certain.e.s ont effectué une transition (sociale et/ou hormonale et/ou chirurgie) tout en ne se reconnaissant pas dans la binarité féminin/masculin (l'anthropologie nous apprend par ailleurs qu'il s'agit bien davantage d'une conception propre aux sociétés occidentales entre autres qu'une réalité universelle).

La non-binarité, c'est aussi mon cas : je me sens plus fille que garçon, mais pas complètement fille. Et cette identité est valide comme toutes les autres tout comme les personnes trans et binaires sont également valides. Cela ne m'empêche pas par ailleurs de ressentir de la dysphorie.

Pour rompre avec les visions binaires, spectaculaires et simplistes de nombreux médias, j'ai donc pris le soin de consigner des éléments de mon vécu qui montrent les formes plus subtiles que peut prendre ce sentiment de décalage entre l'identité de genre et le sexe assigné.

Je tiens à préciser trois choses qui me semblent extrêmement importantes : la première, c'est que chacun de ses éléments, pris isolément, n'est pas forcément révélateur d'une « dysphorie de genre ». D'ailleurs, certains de ces éléments s'expliquent aussi par d'autres aspects de mon indvidualité : l'asexualité et la neuroatypie. C'est l'ensemble de ces éléments, mis ensemble qui ont fini par ne plus me laisser avoir de doutes sur ma transidentité dans un cadre non-binaire. .

La deuxième chose, c'est que chaque personne humaine a un vécu, des ressentis et une personnalité qui lui sont propres. Bref, si vous ne vous retrouvez pas complètement dans le tableau dépeint ci-dessous voire pas vraiment, cela n'invalide en rien votre transidentité si vous vous sentez concerné.e.s.

Par cet article, j'entends simplement fournir un témoignage honnête aux personnes en questionnement et bien sûr aux personnes intéressées par le sujet.

Enfin, pour aller plus loin, je tiens un blog anonymisé sous forme de journal intime qui, jour après jour, raconte dans un style plus littéraire les différentes étapes par lesquelles je suis passée, depuis ma prise de conscience et jusqu'au point de confort où ma transition me mènera.

Afin que cet espace nouveau soit « safe » et pour éviter tout voyeurisme de personnes qui ne sont pas les allié.e.s des personnes trans et/ou non-binaires, le lien vers le blog n'est disponible que sur demande par mail : flora.hdrt@gmail.com.

Voici donc les éléments que j'ai listés :

DEPUIS L'ENFANCE :

  • Je ne supporte pas d'entendre ma propre voix. Plus tard, j'ai essayé de me lancer dans le slam puis dans la musique pour essayer d'y remédier. J'ai pensé que mon défaut de prononciation y était pour quelque chose mais plus les années ont passé et plus c'était le timbre lui-même que j'entendais sonner faux.
  • Souvent, je ne me reconnais pas sur les photos et parfois même dans le miroir. Lorsque je me suis mis en fille pour la première fois au début de la vingtaine, cette impression étrange a cessé.
  • Je suis toujours mal à l'aise en société parce que j'ai a le sentiment tenace d'être un imposteur.
  • À cinq ans, je n'ai pas compris l'utilité des toilettes séparées quand on me l'a expliqué et qu'on m'a montré comme je devrai me servir plus tard d'un urinoir. Ma réaction a été de demander si le « zizi allait tomber si on faisait pipi en tirant comme ça » et de lâcher « dommage » quand on m'a répondu « non ».

À L'ADOLESCENCE :

  • J'ai refusé que mes parents me rasent les cheveux dès mes 13 ans. J'ai été « tondu » de force plusieurs fois. Je me suis sentie humiliée et en décalage. Je savais bien que ce n'était pas qu'une question d'avoir un « style rock ». J'ai fini par obtenir le droit de les laisser pousser à 15 ans.
  • Je détestais les cours de gym et les discussions dans le vestiaire. Je tentais tout pour ne pas y participer. Quand, à bout, le professeur me demanda : « Bon, toi, soit tu participes soit tu vas jouer au badminton avec les filles », je me dis que c'est la meilleure chose qui pourrait arriver.
  • Je me suis rendue compte que mon attirance envers la féminité était très différente de celle d'un « jeune homme hétérosexuel » et qu'au-delà du caractère platonique de cette attirance, il y avait comme un mécanisme de projection et d'identification qui jouait aussi. J'en ai été perturbé. Beaucoup m'ont pris pour un homosexuel quand j'ai fait mon coming-out asexuel.
  • J'ai épilé mes premiers poils de barbe et je me maquillais quand les parents partaient faire les courses puis j'effaçais tout et je niais en bloc quand il restait des traces de crayon sous mes yeux vu l'homophobie et la transphobie de certains membres de la famille.
  • À 16 ans, je portais du XXL pour cacher ma silhouette alors que je ne pesais même pas 50kilos pour 1m75.
  • J'ai très tôt apprécié et recherché tout ce qui me permettait de m'évader de mon corps : littérature, musique, rêveries mais aussi alcool, escapades risquées, cannabis et médicaments qui font planer …
  • Dès mes premières relations, j'ai régulièrement éprouvé une sensation d'électricité dans le corps et mes ressentis tactiles pouvaient m'apparaître comme étant étrangers, ce qui m'empêchait de comprendre comment réagir.
  • J'ai essayé de me convaincre que l'asexualité expliquait tout. J'ai fait la même chose avec la neuroatypie plus tard quand j'ai appris qu'on m'avait décelé un « haut potentiel ». La transidentité étant vue comme la chose la plus absurde et la plus abominable qu'il soit par certains membres de la famille, je tenais absolument à ne pas y penser. D'ailleurs les discussions et reportages sur le sujet me mettaient mal à l'aise.
  • Parfois, on m'a fait remarquer que je parlais de moi au féminin sans même m'en rendre compte.

À L'ÂGE ADULTE

  • Je me suis négligé durablement une fois le combat perdu contre la barbe : vieux vêtements, cheveux sans coupe,... La plus âgée de mes sœurs m'a une fois sorti que j'étais « le mélange entre un grunge, un clochard et un rappeur ringard ». Bonjour, l'entente. Parfois, cependant, j'avais des sursauts de coquetterie : je mettais mes cheveux en forme, je me rasais de près et remettais un peu de crayon sous les yeux.
  • Je refusais que l'on m'achète des vêtements (forcément masculins)
  • Après une première journée de travail catastrophique dans l'administration, je me suis habillée en fille pour la première fois. Je me suis sentie bien et trouvé enfin belle au point de culpabiliser très fort par après, vu tout ce qu'il m'avait été raconté sur « les travestis ». Je réalisais cependant que ce n'était pas que du simple travestissement. Je me demandais ce que c'était. J'ai envisagé la transidentité avec frayeur et je l'ai refusé sous prétexte que des documentaires douteux la résumaient à « une fille prisonnière d'un corps de garçon » ou « un garçon prisonnier d'un corps de fille », ce qui n'était pas tout à fait mon ressenti.
  • J'ai passé beaucoup de temps à regarder la garde-robe de ma compagne actuelle qui est adepte de stylisme.
  • J'ai eu des crises d'angoisse inexplicables après avoir remarqué que mes tempes se dégarnissaient. J'ai pris de la finastéride (un anti-androgène léger), parfois en surdose pour échapper à une possible calvitie. J'y suis parvenu avec un certain succès mais j'ai développé le syndrome post-finastéride. Je me suis rendue compte qu'il m'était inconcevable de vieillir dans un corps qui se masculiniserait avec l'âge. (à l'adolescence, j'étais assez androgyne).
  • Un jour ma compagne actuelle m'a fait une surprise quand je suis rentrée du boulot : elle m'avait piqué mon sweat à capuche, ma casquette fétiche et mon pantalon large dans la garde-robe. Elle m'a dit : « j'ai fait un cosplay de toi, Flo». Je me suis sentie en confiance et j'ai décidé plus tard d'incarner pour la première fois un personnage féminin à l'occasion d'Halloween. Puis, je me suis habillé et maquillée en fille à l'occasion à la maison car je me sentais détendue et plus en harmonie avec moi-même et les autres sous cette apparence-là.
  • J'ai fait des recherches et j'ai compris que la dysphorie de genre peut se manifester en-dehors de la binarité et des stéréotypes de genre.
  • J'ai fait mon coming-out en privé et j'ai décidé d'adopter un style androgyne ou féminin selon les impératifs du jour.
  • Les cauchemars récurrents ont cessé et j'ai fini par faire mon coming-out public.
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