Je ne sais pas qui tu es. Je ne sais même pas si tu es une fille, un garçon ou entre les deux. Je ne sais pas ce que tu aimes, je ne sais même pas si tu es en bonne santé. Tout ce que je sais, c’est que je t’aime. Tu n’es ni dans mon ventre, ni sur terre et tu n’y seras probablement jamais. Tu resteras sans doute mon enfant inexistant. Mais, je te le répète, je t’aime.
Je t’écris cette lettre, juste à toi, pour que tu comprennes pourquoi j’hésite à te donner la vie. Le GIEC vient de sortir son rapport, le constat est plus qu’alarmant. L’humanité devra s’attendre au cours des prochaines décennies aux sécheresses, aux terres inondées, aux montées des océans et à d’énormes incendies. Croire en un dieu j’y aurais vu la réalisation d’une prophétie millénaire. Comme agnostique, j’y vois la résultante de décennies d’irresponsabilité.
Si tu n’es pas ici en ce moment, c’est que je ne veux pas que tu manges ça chaud. De toutes les générations ayant existées depuis le début des civilisations, c’est la tienne qui va le plus souffrir. Aucun peuple ne sera épargné. Il faut que l’humanité se mette au travail, maintenant.
Je prends mon 1/7 milliardième de faute sur le dos. Si tout le monde était aussi irresponsable que moi, on aurait besoin de 2 planètes pour vivre. Malheureusement pour l’humanité, le monde est aussi irresponsable que moi.
Je m’engage quand même à changer au cours de la prochaine année pour ne prendre que la place qui m’est réservée. Je me mets au travail. Je veux aussi m’impliquer dans la transition écologique, et dans l’adaptation de nos milieux de vie face au bouleversement qui se prépare. La fin est toujours le début de quelque chose. Je l’espère.
Il parait que je fais ma part en ne t’ayant pas. Il paraît que je diminue mon empreinte écologique en refusant de participer à la surpopulation mondiale. Que ceux qui me disent ça aillent chier. Que ceux qui mettent la faute de la déchéance de l’humanité sur le dos d’une génération qui n’existe pas encore aillent se coucher. Ça fera moins de pression sur la biodiversité. Ce n’est peut-être pas la meilleure époque pour avoir 10 enfants, mais si les vivants n’avaient pas fait les cons, peut-être qu’aujourd’hui tout serait diffèrent.
Sache mon enfant inexistant que ce qui se passe ici n’est pas de ta faute, peu importe les choix que je fais pour toi. Si tu n’es pas dans mon ventre, c’est que je t’aime et que je suis cynique. Ça ne me dérange pas d’envoyer mon char à la scrape, d’être végane, de ne jamais voyager, de vivre dans plus petit, bref de prendre juste ma demi-planète théorique pour t’en laisser un petit boute. Mais je ne crois pas que ça changera quoi que ce soit à la situation globale. Je ne t’ai pas parce que je t’aime et que je ne veux pas que tu souffres de l’irresponsabilité des vivants.
Cela dit, je me rends compte que je t’attends secrètement. Je t’espère, j’aimerais t’avoir dans ma vie et te tenir dans mes bras. Ça fait mal de te dire adieu sans t’avoir encore rencontré.
Après tout, le bouleversement climatique, ça va être la fin d’un monde. La fin du capitalisme, peut-être. La fin de notre civilisation, possiblement. La fin de notre manière de vivre dans le meilleur des mondes, si l’on arrive à réagir et à s’adapter. Plus profondément, ce sera la fin de la biodiversité telle qu’on la connaît, La fin de notre climat. La fin de nos saisons. La fin de l’holocène.
Mais, ça ne sera peut-être pas la fin de tout. Il y a des choses qui sont dures à briser dans la vie. Et je suis convaincue que ce ne sera pas la fin de l’amour ni du bonheur. Même dans les moments les plus sombres, les gens trouvent le moyen d’être heureux.
Il faut que l’humanité se mette au travail. Il y a quelque chose de stimulant à travailler à un monde meilleur. Ça, j’aimerais le partager avec toi. Fais que si tu décides de venir faire un tour à l’improviste dans ma vie, je vais heureuse de te recevoir. Ne sois pas timide, je ne suis pas sorteuse. Ça fait 25 ans que j’habite la même planète et j’ai l’intention d’y être pour les 75 prochaines années. Ça va me faire plaisir de t’accompagner dans ce beau merdier.
Je t’aime.