For my English-speaking readers, the current post is a French adaptation of this one, that is dedicated to a research work addressing funny effects appearing in top quark production at CERN’s Large Hadron Collider.
Le post de la semaine dernière concernait certains de mes travaux de recherche actuels. Le sujet choisi a mené finalement à un post un peu trop technique et parfois difficile à saisir. Je remercie @duke77 and @marc-allaria pour me l’avoir signalé, ce qui me permet de (tenter de) redresser la barre avec le post de cette semaine. Comme toujours, tout retour (qu’il soit positif ou négatif) est fortement apprécié.
À nouveau, j’ai décidé de me concentrer sur mes propres travaux de recherche. Je vais cette fois discuter d’une publication scientifique de 2021 dont le sujet concerne les signatures de toponium au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN. En passant, je me permets d’ajouter que cette publication est en accès libre (CC BY 4.0), et peut donc être téléchargé sans problème par tout un chacun.
Si on regarde le paragraphe ci-dessus, il y a forcément un mot qui saute aux yeux : toponium…
Dans la première partie de ce post, je vais revenir au Modèle Standard de la physique des particules et le concept de quarks en tant que briques de base des noyaux atomiques. Comme détaillé le mois dernier, cette idée trouve sa source dans 100 années de recherches et un vaste lot de données expérimentales. Les quarks et leurs antiparticules appelées antiquarks sont aujourd’hui connus pour être à la base d’un véritable zoo de particules composites.
Il y a cependant une exception, le quark top, qui est la plus lourde de toutes les particules élémentaires. Le quark top se désintègre bien avant d’avoir le temps de former un état composite, de sorte que le zoo mentionné ci-dessus ne contient aucune particule dont l’un des constituants est un quark top. Malgré cela, la magie de la théorie quantique des champs peut nous amener à rencontrer des effets qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux qui viendraient d’un objet composite comprenant un quark top. Dans ce cas-là, il n’y a pas de formation de particule composite réelle, vu qu’une telle particule n’existe pas. On parle alors de particule virtuelle.
Ces effets virtuels sont cependant minuscules de sorte qu’on ne devrait pas pouvoir les observer expérimentalement. Dans la publication scientifique à laquelle le post du jour est dédié, mes collaborateurs et moi-même avons montré que ces effects pouvaient en fait se voir dans des résultats publics du Grand Collisionneur de Hadrons du CERN.
Autrement dit, nous avons contredit le paradigme actuel et démontré qu’on avait de quoi faire une nouvelle découverte en utilisant les données actuelles : l’observation d’un effet jamais observé : celui de particules composites virtuelles faites de quarks top. Ce point est discuté dans la deuxième partie de ce post.
[Crédits: CERN]
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[Crédits: CERN]
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[Crédits: Fermilab (public domain)]
Le Modèle Standard de la physique des particules a une nature quantique. Cela signifie que pour tout phénomène, nous pouvons avoir des effets quantiques marrants qui se produisent.
Par exemple, supposons que l’on produise un quark top et un antiquark top au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN. Ces deux particules vont se désintégrer quasi instantanément (en 10-25 seconde). Cependant, ces particules peuvent interagir entre elles via la force forte avant de se désintégrer. Ces effets ont été calculés en 2010 et il a été montré que lorsque les quark et antiquark top produits sont lents, ils se comportent comme s’ils formaient une particule composite.
Bien sûr, un objet composite fait d’un quark et d’un antiquark top ne peut pas se former avant la désintégration du top et de l’antitop. Il n’y a donc pas de méson toponium réel qui apparaît dans le processus. Les effets que nous voyons sont associés avec une paire de top-antitop qui se déplace lentement, et sont seulement identiques à ceux que l’on pourrait espérer d’un objet top-antitop composite.
Cela signifie donc que des effets de toponium peuvent potentiellement être visibles alors que les toponia n’existent pas. Les calculs de 2010 mentionnés ci-dessus ont estimé l’importance de ces effets sur le taux de production de paires de quark-antiquark top au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, le LHC. On parle d’effets de l’ordre du pourmille, ce qui est bien plus petit que la précision expérimentale attendue sur un taux de production. En fait, on ne pourra sans doute jamais atteindre la précision du pourmille dans les expériences en collisionneur…
En 2010, on a donc conclu qu’il n’y avait pas de raison de se préoccuper des effets de toponium, car ces derniers étaient impossibles à mesurer. 11 années plus tard, @lemouth et ses collaborateurs ont débarqué et démontré que cette conclusion était trop pessimiste !
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[Crédits: EPJC 80 (2020) 528 (open access)]
Dans ma publication, nous avons montré que ce désaccord pouvait être l’incarnation des effets de toponium. Bien que ces effets soient invisibles sur un taux de production de paires de quark-antiquark top (comme montré en 2010), nous n’avons pas un taux de production sur la figure ci-dessus. Tout d’abord, il a été fait une sélection des collisions donnant lieu à la production d’une paire top-antitop. Cette sélection d’événements permet de se concentrer sur certaines collisions bien particulières. Ensuite, on considère une propriété bien déterminée des produits de désintégration de la paire top-antitop.
Ce que mes collaborateurs et moi avons trouvé et documenté dans notre publication scientifique de l’an dernier est que les effets de toponium de l’ordre du pourmille pouvaient devenir des effets de l’ordre du pourcent après une sélection d’événements et l’étude d’une propriété appropriée.
Ainsi, si on arrive à contrôler les erreurs expérimentales au niveau du pourcent, il devient possible d’observer des effets de toponium dans les données. Malheureusement, une telle précision expérimentale est encore trop difficile à atteindre.
Nous ne nous sommes pas découragés et avons commencé à modifier la sélection d’événements. Ensuite, nous avons étudié d’autres propriétés. Le but était simple : faire ce qu’il fallait pour rendre les effets de toponium visibles. Et devinez quoi ? Nous avons réussi, comme illustré dans la figure ci-dessous !
[Crédits: PRD 104 (2021) 034023 (CC BY 4.0)]
Cette figure nous montre à nouveau une propriété des produits de désintégration d’une paire top-antitop fraîchement produite au LHC. Les cercles oranges correspondent aux prédictions sans effets de toponium, tandis que les carrés turquoises représentent les effets de toponium. La somme des deux est donnée par les triangles kakis.
Ce que nous voyons est que la formation de toponia virtuels contribue à plusieurs centaines d’événements (c’est-à-dire de collisions) lors de la production et la désintégration de paires de quark-antiquark top particulières. Les effets de toponium atteignent 10%, ce qui est simplement immanquable expérimentalement ! Ainsi, mes collaborateurs et moi avons démontré qu’il existait des moyens de rendre mesurables les effets associés à la production d’une particule composite virtuelle faite d’une paire quark-antiquark top. Le truc est simplement de regarder au bon endroit et d’étudier la bonne propriété.
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Une fenêtre sur le monde des quarks
--- Dans ce post du mois dernier, j’avais introduit le Modèle Standard de la physique des particules en parcourant son histoire vieille d’environ cent années. À la fin des années 1960, les physiciens avaient devant eux un zoo complet de particules contenant des incarnations diverses et variées de pions, kaons, 𝛺’s, 𝜮’s, 𝜩’s, 𝜔’s et 𝚫’s. Le monde de la physique des particules était tout simplement désorganisé et chaotique. En 1964, il fut proposé que toutes ces particules n’étaient pas des particules élémentaires, mais plutôt des objets composites faits de plusieurs entités élémentaires parmi 8 (les quarks et antiquarks up, down, strange et charm). Cette hypothèse s’est révélée être la bonne, les données le confirmant de façon nette et précise, avec cependant un petit bémol. Il y avait en fait six particules élémentaires et non pas quatre (les quarks up, down, strange, charm, bottom et top), chacune étant associée à une antiparticule correspondante. Avec un tout petit tas de particules élémentaires, on pouvait ainsi décrire toute la matière connue. Hourra ! La question qui vient immédiatement à l’esprit concerne la façon de lier les quarks et antiquarks élémentaires et les états composites faits de quarks et d’antiquarks. La réponse se trouve dans la théorie de l’interaction forte, appelée chromodynamique quantique. Dans ce contexte théorique, tout quark possède une couleur parmi le rouge, le bleu et le vert. De façon similaire, chaque antiquark a une anti-couleur parmi l’anti-rouge, l’anti-bleu et l’anti-vert. De plus, tout état composite doit être sans couleur, ou blanc. En prenant ces contraintes en compte, on peut immédiatement remarquer qu’un état composite fait d’un quark d’une couleur donnée et d’un antiquark de la même anti-couleur est blanc. Rouge et anti-rouge donne du blanc, bleu et anti-bleu donne du blanc, et finalement vert et anti-vert donne aussi du blanc. La chromodynamique quantique inclut donc la possibilité que des particules faites d’un quark et d’un antiquark existent dans la nature. Les données lui ont donné raison. Ces particules sont appelées mésons et comprennent chacune n’importe lequel des cinq quarks les plus légers (up, down, strange, charm et bottom) et n’importe lequel des cinq antiquarks les plus légers (anti-up, anti-down, anti-strange, anti-charm et anti-bottom). Une liste complète de la centaine de mésons découverts jusqu’à présent peut d’ailleurs se récupérer sur Wikipedia. Malgré cela, tous ces mésons sont instables et ne vivent pas très longtemps. L’existence de ces mésons permet d’expliquer les deux tiers du titre de ce post. Un méson contenant un quark ou un antiquark charm est appelé charmonium (ou charmonia au pluriel), tandis qu’un méson contenant un quark ou antiquark bottom est appelé bottomonium (ou bottomonia au pluriel). Mais pas de toponium (ou de méson contenant un quark ou un antiquark top). Toutes les particules composites discutées pour le moment ne concernent pas le quark top… et il y a une bonne raison derrière ce fait.
Les particularités du quark top
--- Dans ce que nous avons discuté ci-dessus, point de quark ou d’antiquark top. La théorie interdit en effet la possibilité d’avoir une particule composite contenant un quark ou un antiquark top. La raison est assez simple à comprendre. Le quark top est très lourd, avec une masse égale à 175 fois la masse du proton. Par conséquent, le quark top a la possibilité de se désintégrer en un boson W et un quark bottom. En revanche, les autres quarks sont tous trop légers et ne peuvent se désintégrer en un boson W (qui est plus lourd qu’eux) et un quark supplémentaire. Ce mode de désintégration spécifique au quark top le rend très instable, avec une durée de vie d’environ 10-25 seconde (c’est-à-dire de 0.0000000000000000000000001 seconde). Par conséquent, aucun quark top produit n’a le temps de s’apparier avec un autre quark et de former un méson (ou tout autre état composite). Ainsi, les mésons toponium n’existent pas. Pan dans les dents ! Par contre, j’ai bien inclus le mot toponium dans mon titre de post… Je vais maintenant expliquer pourquoi.
Le toponium au Grand Collisionneur de Hadrons
--- La motivation derrière mon intérêt pour le toponium vient de résultats récents des collaborations ATLAS et CMS du LHC. Comme déjà dit, le quark top est instable et se désintègre quasi instantanément. Ainsi, lorsque l’on produit une paire de top-antitop au LHC, les particules produites vont immédiatement se désintégrer en d’autres particules visibles dans un détecteur. Les physiciens peuvent alors étudier les propriétés des produits de désintégration de la paire top-antitop. C’est ce qui est fait par exemple dans la figure ci-dessous (qui vient de résultats de la collaboration ATLAS). Regardons uniquement l’ellipse rouge sur la figure. On peut noter un désaccord léger entre les données (le gros point noir avec sa barre d’erreur) et les prédictions (qui s’obtiennent en empilant les histogrammes colorés, avec l’erreur théorique en hachuré). Dans cette ellipse rouge, on peut voir que les données sont en excès relativement aux prédictions. Le point de donnée se trouve en effet un peu plus haut que les attentes théoriques.
