đ«đ·Je poursuis mon exploration sous-marine sur le tombant de lâatoll. Dâarchitecture classique, le rĂ©cif impose un premier tombant jusquâĂ 80m de fond, puis un second que lâon peut considĂ©rer comme dĂ©finitif. A ceux qui me demande si je plonge seul, jâaurais bien envie de leur rĂ©pondre que non. Il me suffit de me retourner Ă nâimporte quel moment de la plongĂ©e, pour y voir un requin faisant mine de changer de direction au mĂȘme instant. Je me suis fait Ă leur prĂ©sence. Les plus curieux sont en gĂ©nĂ©ral les requins gris. Jâai beau mâoffrir totalement pour tenter de raccourcir la distance qui nous sĂ©pare, mais ce sont eux qui dĂ©cident, et de ce fait, ils imposent une distance de sĂ©curitĂ© dans laquelle je ne pourrais jamais entrer. Les approcher Ă 2 ou 3m reste un fait exceptionnel. Il sâen dĂ©gage alors lâĂ©trange sensation dâune rencontre avec un ĂȘtre parfait. Cet animal nâa aucun dĂ©faut et maitrise parfaitement le milieu dans lequel il Ă©volue. Loin de toute activitĂ© de pĂȘche industrielle, le tombant de Green Island a conservĂ© une densitĂ© de vie marine extraordinaire. Je passe mes longs paliers Ă scruter chaque centimĂštre de roche et de corail pour y dĂ©couvrir un monde souvent invisible, pour lequel le mimĂ©tisme et la discrĂ©tion sont deux armes de dĂ©fense dâune efficacitĂ© redoutable. Un groupe de nudibranches de la famille des âFlabellinidaeâ apparaĂźt alors devant mon masque. Certains individus nâexcĂšdent pas 10mm et retiennent mon objectif pendant de longues minutes.
Aujourdâhui je me rends compte combien jâai besoin de mes forces pour mener Ă bien un pareil voyage. Encore une fois, je nâai pas Ă©coutĂ© les avertissements pourtant trĂšs clairs que me lançait mon corps. RĂ©sultat, je me retrouve couchĂ©, soutenant une douleur intense aux lombaires, incapable de porter une petite cuillĂšre, et avec un bateau de 10 tonnes Ă mener sur la bonne route. Quel idiot! Inutile de demander lâadresse du premier ostĂ©opathe, ici, peu ou pas de mĂ©decine pour ce genre de traumatismes. Constantin, que je connais depuis moins dâune semaine vient tous les jours me rendre visite pour prendre de mes nouvelles et mâapporter quelques fruits et lĂ©gumes mis de cĂŽtĂ© par les jeunes du village. AprĂšs trois jours de rĂ©cupĂ©ration, je peux me tenir debout aussi bien que le ferait un nonagĂ©naire un jour de grande forme. Jâen profite pour inviter les jeunes Ă bord pour quelques sillages tracĂ©s dans lâintĂ©rieur de lâatoll. Tour Ă tour, ils prennent la barre dâAurora et la font valser comme une jeune fille que lâon amĂšne danser pour la premiĂšre fois. La ronde terminĂ©e et les sourires bien cambrĂ©s, ils mâaident Ă hisser lâannexe Ă bord et me souhaitent bonne chance pour ma route future. Je pars demain Ă lâaube.
Les cartes marines sont fausses de plus de 2 milles nautiques, le temps de cette nuit a Ă©tĂ© Ă©pouvantable, la lune Ă©tait noire, aucune visibilitĂ©, le vent soutenu, le sommeil inexistant, mon seul souhait est de rentrer dans lâatoll de Nuguria Island pour y jeter lâancre et dormir enfin. Mais poussĂ© par un fort courant, je suis en avance sur mes prĂ©visions et il fait toujours nuit. Je mets donc Ă la cape et patiente quelques heures Ă 5 milles des cĂŽtes en attendant que le soleil se lĂšve pour montrer Ă Aurora la route Ă suivre Ă travers le rĂ©cif. Nuguria Island est certainement lâun des derniers endroits du Pacifique Ouest oĂč lâon peut trouver des traces de sociĂ©tĂ©s polynĂ©siennes. Les peaux se sont Ă©claircies, les cheveux des femmes sont devenus plus lisses et plus longs, les traits se sont affinĂ©s, je suis en PolynĂ©sie, ou presque. Nuguria a Ă©tĂ© oubliĂ© des autoritĂ©s papous. Son seul contact avec le monde âcivilisĂ©â est la venue mensuelle du bateau cargo. Câest le jour Ă ne pas manquer si lâon veut vendre son copra, son poisson, et acheter essence, riz, huile ou autres aliments de nĂ©cessitĂ© premiĂšre. Le cargo joue Ă©galement le rĂŽle de facteur entre lâatoll perdu et lâIle de Bougainville, centre administratif fantĂŽme situĂ© Ă 2 jours de mer de Nuguria Island. Le reprĂ©sentant du dispensaire est aussi du rendez-vous pour rĂ©cupĂ©rer ses mĂ©dicaments commandĂ©s Ă lâavance par radio. Vingt quatre heures plus tard, le cargo appareillera et plus aucun Ă©change ne se fera jusquâau mois prochain.
Je rencontre Bill et Ryat, deux amoureux inconditionnels de pĂȘche et de mer en gĂ©nĂ©ral. Nous faisons connaissance sous le grand badamier de Bill. Ce dernier est radio amateur et dispose de tout le nĂ©cessaire pour communiquer avec ses amis Ă plusieurs centaines de kilomĂštres de lĂ . Ryat, quant Ă lui, est la reprĂ©sentation mĂȘme du polynĂ©sien dont la gentillesse dĂ©borde dâun corps pourtant surdimensionnĂ©. Mes deux amis se rendent trĂšs vite compte que ma dĂ©pendance Ă la plongĂ©e est altĂ©rĂ©e par mon impossibilitĂ© Ă porter le moindre kilo dâair comprimĂ©. TrĂšs vite ils me proposent de venir supplĂ©er mes bras en passant rĂ©cupĂ©rer plongeur et matĂ©riel au voilier. Mon moteur est fixĂ© sur leur barque, mon matĂ©riel est chargĂ© Ă bord, je nâai pas bougĂ© le petit doigt et surtout pas la moindre vertĂšbre. Padi mĂȘme, nâaurait pas fait mieux pour Ă©viter la manutention Ă ses clients!
A suivre...

HERE IS PART 20 - In English