Episode 14 : Suite et fin de la guerre pour Robert
Résumé: Les lettres de mon grand-père (Robert) échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père. La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.
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1916 - Robert (au centre +) au camp de Darmstadt - Allemagne
Robert, prisonnier à Darmstadt depuis le 1er mars 1916, raconte:
On me doucha, me questionna, me tondit, mais rien à manger et pas de pansement changé. J'ai commencé à connaître la faim et je ne connais rien de plus terrible. J'avais un régime qui n'était qu'une ombre.
Je suis tombé cinq fois sans connaissance pendant mon séjour à l'hôpital. Je n'ai jamais eu beaucoup de fièvre. On me fit deux curetage à travers la figure, ce n'est pas très rose comme sensation. Je me suis guéri parce que j'ai un bon tempérament et parce que j'ai eu des devanciers qui n'ont pas fait d'excès.
Je ne dois rien aux Boches. Nous avions une grosse diaconesse qui avait tout du boucher. Elle avait bon coeur mais la main rudement lourde. Les pansements arrachés sans eau tiède, les nettoyages en trois coups de bistouri, les plaisanteries stupides et malveillantes, rien n'y manquait.
On me fit une opération, on me promit beaucoup, je n'eus rien.
Et puis la faim, la faim atroce, les Français qui vous exploitent, vous vendent un morceau de pain deux ou trois marks. Les copains nouvellement pris, les heureux qui pouvaient marcher, allaient fouiller les poubelles pour une croûte moisie. Les batailles pour un morceau de K.K. (pain) infect, aucune camaraderie devant le désir inassouvi.
Plus tard, au camp, les zizanies, les cafardages, les traîtres, les embêtements perpétuels des Boches et toujours, toujours, quand les colis tardent, la faim qui reparaît.
Lettre de Robert à sa mère - 19 Avril 1916
Chère Maman, Je vais bien. Mon bras est déplâtré, la plaie de la cuisse se ferme et le visage se cicatrise. Je ne souffre presque plus.
Vos envois sont exquis mais, je vous en prie, pas de grosses boîtes et surtout des conserves qui peuvent rester ouvertes.
Je vais de mieux en mieux. Je vous écris moi-même aujourd'hui. Ne vous inquiétez pas. Ce n'est pas le bras droit qui est perdu mais l'oeil droit. A part cela rien d'ennuyeux. Je suis toujours bien soigné. Bonnes Pâques!
Je vous embrasse tendrement. Votre fils respectueux.
Robert en 1917
Lettre de Robert à sa mère - 3 Mai 1916
Chère Maman, Je vais de mieux en mieux. Les blessures se ferment. Le bras droit recommence à se mouvoir. Je n'ai plus de fièvre et ne souffre que de douleurs intermittentes. Je reçois tous vos colis en bon état. Merci pour toutes vos bonnes choses. Je n'ai jamais désespéré de vous. Je suis bien soigné.
Mon bras reviendra comme avant. On me mettra un oeil de verre et des dents. Ma face me fait bien un peu mal mais si peu! Ne vous faites pas de mauvais sang à ce sujet. Nous nous reverrons, ne vous découragez pas, il faut prendre les choses du bon côté. Le moral est excellent, nous nous promenons dans notre cour dès qu'il fait beau, on cause, fume, discute et personne ne se plaint. Je pense bien souvent à vous.
Je désire surtout des conserves pouvant rester ouvertes quelques jours, des condiments, des confiseries, du tabac et des livres.
Vous me faites déjà un si grand plaisir que je ne sais comment vous remercier mais ne me croyez pas triste, personne ne l'est ici. Je fais popote avec un copain de Paris, tout va pour le mieux.
Je vous quitte en vous remerciant beaucoup de vos envois et je vous assure bien que je pense continuellement à vous et vous aime et embrasse tendrement.
Lettre de Robert à sa mère - 21 juin 1916
Chère Maman, Je suis dans le service de mécano-thérapie pour mon bras et suis bien soigné. Tout va bien mais je ne peux pas encore ouvrir complètement la bouche, cela reviendra m'a dit le dentiste.
Ici, même vie, pluie et soleil, forcément monotone mais on cherche à se distraire. J'entretiens mon allemand avec les infirmiers. Je m'accoutume à cette vie calme et sans imprévu.
J'aime beaucoup vos lettres et les attends. Plus je vais plus j'aime le calme, l'effort concentré vers un but dans la vie. La campagne me plaît par la liberté qu'elle offre et la paix de son existence. L'exil a été l'apanage de beaucoup et il force à réfléchir. La vie matérielle étant largement assurée ici, la réflexion prédomine. Je voudrais quelques conseils, quelques livres pour mieux m'en pénétrer. Par contre, les grandes idées qui me travaillaient jadis s'envolent. Je deviens païen, d'une manière.
J'aimerais savoir si l'on vous a renvoyé mon sac et mes affaires. La certitude de la mort de l'oncle Raymond me touche beaucoup. J'aimerais savoir ce qu'a Hélène et si elle ne va pas mieux.
De mon côté tout va bien. Je vous en prie ne vous faites pas de peine à mon sujet. Je vous embrasse bien tendrement.
Mars 1917 - Robert et sa soeur Renée à la clinique de Lausanne en Suisse
Carte de Robert à sa famille - 14 Décembre 1916
Pas lieu de s'en faire. Toujours même état et même moral. Bientôt nous reverrons, croyez-le. Reçois bien colis et lettres. Ai toujours névralgies mais vais mieux. Il ne fait pas trop froid. Je vois bien que vous vous figurez un fils tout autre que je ne suis mais nous remettrons cela a plus tard. Plus d'envois de colis. Bien à vous.
Carte de Robert à ses parents - 16 Décembre 1916
Après avoir été accepté par la Commission Suisse chargée de visiter les camps de prisonniers de guerre et prêt pour mon départ en Suisse je dois rester ici car le gouvernement français a refusé l'internement de dix officiers et cent soldats allemands prisonniers. Ce n'est donc qu'à titre de représailles que nous ne partons pas.
S'il y a des hommes intelligents en France je serais porté à croire qu'il y en a qui s'amusent un peu de nous, ce qui ne me parait pas très fort! Bien tendrement à vous.
Robert écrit le 20 Janvier 1917 qu'il est enfin en Suisse à Champéry. Le 13 Février 1917 il loge à la pension de famille Minerva à Lausanne. Il sera prochainement opéré du visage à la clinique du Docteur Roux. Le 3 Mars 1917 un télégramme annonce à la famille: PREMIERE OPERATION PALAIS, OEIL, REUSSIE - PAS DE FIEVRE
L'opération n'avait pas si bien réussie que ça puisque Robert écrit dans ses mémoires:
Je rentrais à Lyon en Juillet 1917 et devins un pilier de l'Hôtel Dieu où je passais sept fois sur le billard. Je passais l'hiver à Boulouris et fus réformé à Nice le 5 Août 1918.
Sa soeur Hélène décéda de la Tuberculose en 1917 alors qu'il était à l'Hôtel Dieu à Lyon. Robert se maria en 1921 et à la naissance de leur troisième enfant sa femme décéda. Il se remaria en 1927 avec Geneviève, ma grand-mère. Une seule fille naquit de cette union, Sylvie, ma mère.
Robert et sa femme vécurent deux guerres contre les allemands dont une particulièrement atroce pour Robert. Ils perdirent tous deux des êtres très proches, subirent l'évacuation et la réquisition de leur hôtel restaurant en 1940 et l'ironie du sort voulut qu'ils eurent pour gendre....... un allemand, mon père. La vie nous réserve souvent des surprises qui nous forcent à devenir humains, à mettre de côté nos idées sectaires et à ouvrir nos coeurs.