Le camion, trop chargé, se déporte sur la gauche pour éviter un des innombrables trous jalonnant la route de Yamoussoukro. La Honda se jette sur le bas côté, accélère. Un peu de poussière, c’est passé. Classique. Fabien ne se retourne même pas, après deux ans de moto en Afrique de l’ouest il sait gérer. Il y a deux heures à peine nous faisions nos derniers adieux à notre vie en Côte d’Ivoire. Deux ans pour Fabien, six pour moi. Six années trop courtes, tranche de vie inoubliable. Les amis s'étaient levés tôt pour un ultime au revoir. Moment difficile, chargé d'émotion, il fallait partir, vite. En arrivant à Yamoussoukro, en ce matin de juillet 2000, la tête voyage dans les souvenirs qui restent à Abidjan, le voyage n’est pas vraiment commencé. Ce voyage voilà un an et demi qu’on le prépare, qu’on le met au point, qu’on en rêve, qu’on en parle sans arrêt. Il s’agit de conclure notre séjour en rentrant en France en moto en traversant le Sahara. L’itinéraire impose des choix redoutables. La carte de l’Afrique de l’ouest et du nord est ouverte tous les jours, les noms nous font rêver : Tamanrasset, le Hoggar, le Tanezrouft, le banc d’Arguin, les montagnes de l’Aïr, le Ténéré, le Djado... C’est finalement l’arbre du Ténéré qui fera pencher la balance, au bout de six mois le choix est fait : Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Libye, Tunisie.
Les préparatifs
Le jour de la rentrée 1999, il nous reste dix mois avant le départ, les préparatifs sont menés bon train. Rien ne nous fera varier de notre objectif pendant cette année et surtout pas les pessimistes professionnels décidés, allez savoir pourquoi, à nous décourager.
Il faut d’abord trouver des motos, pas facile. Elles doivent être dans un état correct, correspondre à nos budgets, à nos incompétences mécaniques et le plus difficile, avoir des papiers en règle. En novembre Fabien devient l’heureux propriétaire d'une belle Honda Dominator 600 rouge avec 15 000 km au compteur. Plus petit et moins costaud, je porte mon choix sur une Suzuki DR350 presque neuve. Le soudeur du quartier se charge pour un prix modique des portes bagages, porte GPS et support de béquille pour le sable. Au cours de l’année on réunira petit à petit les autres éléments : Réservoirs Grand Raid, jeu de pneus de rechange, casques et quelques pièces de secours. Les premiers pas en mécanique seront difficiles mais le plus drôle restera l’apprentissage du changement des chambres à air. En effet, entre autres motifs de découragement, on nous avait prévu des crevaisons à répétition. Aussi tenace l’un que l’autre nous nous sommes donc fixé un programme d’entraînement intensif : Démontage et remontage d’un pneu tous les soirs après le boulot, alternativement avant/arrière, Honda/Suzuki. Le tout sous un climat tropical !! Résultat, au bout de quelques jours nous étions rassurés sur cette question là.
Fabien se lance dans les listes : pièces, outils, pharmacie, matériel de camping... Il est tellement doué que l’on finit par se rendre compte que nos deux motos ne peuvent pas tout amener ! Pour finir, le tour des ambassades pour obtenir les visas. Pas de problème avec le Burkina et le Niger, par contre ça se présente moins bien pour la Libye. On met la pression à l’ambassade, on leur fait partager notre voyage, leur dessine des cartes et leurs exposons des arguments convaincants. Miracle, après plusieurs semaines le visa nous est finalement accordé. Plus qu’à compter les jours jusqu’aux grandes vacances.
Victime de son tempérament, Fabien trépigne d’impatience jusqu’à ce matin de juillet 2000 où la basilique de Yamoussoukro nous apparaît, toujours aussi spectaculaire, dans cette petite ville au milieu de la brousse. Côte d’Ivoire La Côte d’Ivoire, on l’a parcourue dans tous les sens, à pieds, en moto, en voiture, en train même. Toujours avec autant de plaisir et sans jamais se lasser. Chaque kilomètre prend des allures de pèlerinage. Mais cette fois on a le blues car nous ne savons pas si nous aurons l’occasion de revenir, d'autant qu'après le coup d’Etat l’avenir reste incertain.
D’Abidjan à Yamoussoukro, l’autoroute d’abord puis la route, traversent la forêt équatoriale. Touffue, impénétrable. Celle-ci ne laisse la place qu’aux plantations de bananes et d’ananas. La majorité de ces fruits sont destinés à l’exportation, les plus beaux mais pas forcément les meilleurs ! A partir de Yamoussoukro, village du feu président Houphouët Boigny devenu capitale du pays, la forêt commence à s’éclaircir. On est en plein pays Baoulé, une des principales ethnies de la Côte d’Ivoire qui en compte plus de soixante. Cette région fournit des richesses importantes au pays grâce aux cultures de café et de cacao.
Au nord de Bouaké, la deuxième ville du pays, le paysage change encore, devient plus sec. C’est la savane arborée. Dans cette partie du pays on trouve encore des plantations, notamment des tecks, arbres dont le bois très dur est recherché, des anacardiers, dont le fruit fournit les noix de cajou. Une noix par fruit, pas étonnant que ce soit si cher. Les premiers baobabs apparaissent, on se rapproche de l’extrême nord du pays. Nous sommes chez les Sénoufos aux traditions encore si vivaces : rites d’initiation, danse des hommes panthères ... Passer par la capitale régionale, Korhogo, nous impose un petit détour mais nous fait tellement plaisir ! On dévore notre dernier poulet braisé accompagné d’allocos (banane plantain frite) et d'attiéké (semoule de manioc), arrosé d’une Flag (la bière locale la plus célèbre) dans un maquis (restaurant populaire traditionnel). On rentre se coucher à la mission catholique, tristes et euphoriques à la fois.
Le Burkina Faso
Le douanier Ivoirien me tend mon passeport et me souhaite bonne route. Il ne comprend pas pourquoi on veut aller en France en moto alors que l’on pourrait prendre l’avion plus rapide, plus confortable, moins cher et moins dangereux. Mais si l'on est content comme ça, lui aussi. Il espère que nous reviendrons en Côte d’Ivoire bientôt, et nous donc !
Le Burkina Faso, le pays des hommes intègres. On y est déjà venu souvent, toujours avec autant de plaisir. Pourtant on pourrait penser qu’au Burkina il n’y a rien, pas de mer, pas de montagnes, peu de désert, peu de routes, peu de villes...mais il y a les gens. La gentillesse des Burkinabés est indescriptible. Banfora, Bobo Dioulasso, le sud du pays est vert, très cultivé, canne à sucre, légumes en tout genre, fruits... les Burkinabés sont des travailleurs acharnés et les programmes d’irrigation ont bien fonctionné ici. Un violent orage nous oblige à coucher les motos derrière un talus et nous rappelle que l’on est en saison des pluies.
Nous devrons passer la nuit à Bobo. En deux ans, Fabien n’a pas eu le temps de s’imprégner de toute la sagesse africaine, c’est un fonceur, il est pressé d’en découdre avec les sables du Ténéré et le temps que ses affaires mettent à sécher l’exaspère. Le lendemain, le soleil levant nous trouvera sur la route du pays Mossi, la principale ethnie du Burkina Faso. Il faut rattraper le retard de la veille. Après l’orage d’hier, le ciel est pur et les paysages verdissent quasiment à vue d’œil.
A midi nous sommes attendus à Ouagadougou par Alan, un motard que l’on ne connaît que par internet, un rendez-vous digital, on n'y croyait á peine. Un repas à rajouter sur la longue liste des belles rencontres. Une fois n’est pas coutume, la mission catholique de Fada n’gourma, à l’est du Burkina, nous accueille pour notre dernière nuit dans le pays. La ville est paisible, la soirée se passe en compagnie de deux infirmières françaises qui effectuent un stage dans l’hôpital de la ville. A priori pas facile, il faut du cran et malgré leur courage ce soir elles sont contentes de discuter avec nous, de se changer les idées. Depuis trois semaines qu’elles sont là, elles n’ont pas eu l’occasion de rencontrer de voyageurs.
L’impatience nous dévore, l’aventure, la vraie, commence là bas, là où la route s’arrête
Le sud Niger
Pour une fois en Afrique une frontière a une réalité physique. Sitôt entré au Niger tout change. Le paysage d’abord devient réellement Sahélien. Les villages sont différents, de petites cases rondes dont la structure est en bois. Les gens changent aussi, mais surtout la route devient piste, cassante, poussiéreuse, pénible. Heureusement ce ne sont qu'une centaine de kilomètres.
Niamey, la capitale, est une des dernières villes d’Afrique noire du voyage. Une petite ville agréable, paisible où il doit faire bon vivre quelque temps. C’est le premier endroit où ni l’un ni l’autre n’étions jamais venus. La carte Michelin N°953 qui ne nous a pas quitté depuis plus d’un an est étalée sur la table du restaurant. Encore 1000 km avant Agadez. L’impatience nous dévore, l’aventure, la vraie, commence là bas, là où la route s’arrête. Quelques villes se suivent et se ressemblent, Dosso, Dogondoutchi, Birnin-konni. On longe la frontière du Nigéria et l’activité principale ici c’est le trafic de marchandises en tout genre, en particulier l’essence. Malgré le prix imbattable de cette dernière, on évitera car elle est souvent coupée avec de l’eau. La route est monotone et passionnante à la fois.
Un soir, quand le soleil donne au paysage ses plus belles couleurs, une tête de girafe sort de la brousse. Sans hésiter on quitte la route pour les rejoindre. On les suivra pendant longtemps et dormirons pas loin sous les étoiles. De magnifiques girafes blanches, inoubliable. Les kilomètres s’enchaînent, d’autant plus longs que l’on a décidé d’économiser les machines en respectant une vitesse maximale de 100 km/h. Après Birnin-konni la route file plein nord, le soleil est de plus en plus chaud et écrasant, le paysage de plus en plus désertique. Tahoua pourrait être une frontière, celle du pays Touareg.
Dans le prochain épisode nous rentrons dans le vif du sujet : Le désert du Ténéré
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