
Suite á de nombreuses aventures plus ou moins agréables racontées dans les 3 parties précédentes nous sommes expulsés de Libye et condamnés á retraverser le Sahara vers l'Afrique de l'ouest. Après quelques moments de doute nous vivons cette expérience comme une nouvelle aventure.
Les camions
Ces vaisseaux du désert mériteraient un livre à eux tout seuls. Comme tous les voyageurs Sahariens nous les avions parfois aperçus, au loin, tels des mirages. Leurs traces sur le sable, leur forme arrondie, leur lenteur nous interrogeaient : Oú allaient-ils ? D'où venaient-ils ? Qui étaient-ils ? Que transportaient-ils ? Les rencontres, dans cette région, ne sont pas toutes plaisantes, par réflexe, nous les avions soigneusement évitées.
Après 15 jours et 2000 km sur trois de ces véhicules, le tout à une vitesse maximale de 15 km/h, nous savons tout sur ces transporteurs. En ce qui concerne leur forme, elle s’explique facilement. Comme tout camion ils transportent de la marchandise, dans notre cas il s’agissait, comme c'est souvent le cas, de pâtes alimentaires. Puis pour se faire un peu d’argent le chauffeur embarque des passagers, mais pas quelques passagers, nous étions 123 ! Or chaque passager, à quelques affaires personnelles mais doit en plus s’armer de bidons d’eau. Ces bidons sont attachés aux ridelles du camion, il y en a partout, en haut, à droite, à gauche... et, vu de loin, ça finit par faire une boule, un camion qui n’a plus ses proportions naturelles.

Le grand chef de l’expédition est le chauffeur, c’est lui qui connaît le chemin, les dangers, le véhicule... les passagers mettent leur destin entre ses mains. Pour l’aider des apprentis chauffeurs, 6 ou 7, des gars en pleine forme entre 20 et 25 ans. Ce petit groupe, bien soudé, peut faire respecter l’ordre mais il sait aussi recoudre les pneus, désensabler, dépanner... L’intendance est assurée par des enfants, peut-être 10/12 ans, neveux, fils ou connaissances des chauffeurs. Ils assurent la cuisine, le service, le thé... débrouillards comme pas possible, futurs apprentis et peut-être un jour chauffeurs.
Les passagers de notre convoi sont des Africains venus de toute l’Afrique de l’ouest pour passer en Europe ou, souvent par défaut, gagner un peu d’argent en Libye. La plupart sont de jeunes hommes seuls mais il y a aussi quelques familles. Ils ont été victimes de racisme, mal payés, maltraités, toujours clandestins. Ils ramènent le peu d’argent qui restera après les différents rackets de la « route ». Ces gars-là ont une force morale incroyable, même après les pires tabassages et/ou humiliations ils gardent l’espoir et le sourire. En écoutant leurs histoires on comprendra qu'ils ont une raison d'être satisfait : ils rentrent chez eux après une mauvaise expérience et ils sont vivants.
Lancé à 15 km/h, notre vitesse de pointe soigneusement contrôlée au Gps, nous parcourons les premiers kilomètres qui vont nous ramener à Agadez. L’inquiétude domine, que va t-il nous arriver ? Comment ces gens vont-ils traiter deux blancs, probablement très riches, quand on sera isolés ? Assis vers la partie arrière du camion, dos à dos, on ne peut même pas se voir, il est impossible de bouger, nous sommes trop nombreux. La poussière soulevée est terrible, moi qui croyais que le chèche ne servait qu’à jouer au Touareg sur les photos !
Les traces dans le sable s’expliquent enfin, régulièrement on fait demi tour et on s’arrête. Deux raisons à cela, soit c’est l’heure de la prière, le nez du camion indique l’est, soit le vent vient de l'arrière et il faut faire refroidir le moteur, face au vent !
Le début est difficile, ce n'est pas une place pour les touristes, les gens se méfient d'autant plus que les "autorités" Libyennes, malheureusement rencontrées, nous traitent différemment des autres. Lá oú ils prennent des coups oú payent des bakchich, on nous offre un tapis et de l'eau. On n'a pas eu le temps de faire des provisions, on mange très peu, le tout accompagné de notre eau au goût d'essence, merci Michel ! Heureusement nous n'avons pas le temps d'être malade.
Nous trouvons petit á petit notre place, Fabien grâce à son GPS, moi grâce à ma résistance au sommeil. Nous sommes devenu « quelqu’un » sur le camion. Fabien c’est le prof, chaque soir, après la prière tout le monde est en demi cercle autour de lui pour le cours de GPS. Moi je suis devenu assistant du chauffeur, Moussa. Mon travail consiste à le tenir éveillé, mes outils, le thé, les cigarettes, la parole et l’écoute. Les nuits sont longues car c’est là qu’il faut rouler. La journée il fait trop chaud, le moteur chauffe, pas question d’avancer.

On se couche alors tous sous le camion, seule ombre disponible, et les heures s’écoulent, lentement, très lentement. Le sable remplit nos yeux, nos narines, nos vêtements. C'est clair, le plus dur c’est l’attente. Bien que l’ennui ait dominé, de nombreuses anecdotes sont venues casser la monotonie. Une partie d’entre elles concernent la gentillesse et la solidarité de nos collègues voyageurs. On n’avait plus rien. Après une période de méfiance, ils nous ont nourri, appris la patience, raconté leur histoire...
D’autres anecdotes portent sur l’accueil des gens, militaires et policiers compris, dans les quelques villages étapes. Prévenus par je ne sais quel mystère communément nommé téléphone Arabe, de l’arrivée des deux Français expulsés de Libye. Force était de constater que lestatut d'Européens expulsés de Libye nous conférait une aura certaine. D’autres enfin plus « dramatiques » comme ces passagers d’un autre camion en panne depuis trois jours et qui n’ayant plus d’eau se précipitent tous vers nous. Impressionnant même si ça c’est bien fini.
Un matin le soleil se léve sur le poste de police d’Agadez. Fou de joie nous avons malgré tout un fort pincement au cœur en quittant ceux qui étaient devenus nos amis. Non seulement personne ne nous demandera la moindre compensation mais certains nous offrent encore une partie de leur nourriture. Pourtant à Agadez, la banque nous permet de redevenir des « riches ».
Le retour
Maintenant il y a le goudron et l’argent dans les poches, ça devient facile. Les jours suivants, défilent pour nous les paysages déjà parcourus à l’aller. Beaucoup plus verts car la saison des pluies est passée par là. On retrouve l’Afrique noire que l’on ne pensait pas revoir si tôt, c’est quand même un plaisir.
Après la longue période de privation alimentaire tout nous fait envie, nous sommes pris d’une sorte de boulimie qui durera jusqu’au retour en France et nous vaudra à chacun quelques crampes d’estomac.
A Abidjan c’est les vacances, tous les copains sont partis, un peu triste, heureusement nous avons une place dans un avion pour ce soir. Dure séparation à l’aéroport après un mois et demi passé ensemble. A la rentrée Fabien restera en France continuer sa carrière de rugbyman professionnel alors que je partirais enseigner en Tunisie. La place et les mots me manquent ici pour évoquer l’accueil des gens, la beauté des paysages, des villages, des couchers de soleil.
Par pudeur je ne ferais qu ‘évoquer le sentiment de confiance et de solidarité qui s’est développé entre nous au fur à mesure des épreuves et des difficultés surmontées. Depuis nous avons fait un deuxième voyage dans le sud Bolivien, et quand tu veux, Fabien, un troisième.

🔹🔹🏍️🔹🔹 Fin de l'aventure 🔹🔹🏍️🔹🔹
Bizarrement, par l'intermédiaire d'un de nos sponsors, notre voyage á servi d'inspiration á un journaliste l'année suivante. L'article, ci dessous, a été traduit en Français pour Courrier International.

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