Madrid, ma deuxième vie
En 2003, contre toute attente, j'obtiens un poste de professeur en Espagne. Ce poste au lycée Français de Villanueva de la Cañada, 50 km à l'ouest de Madrid, est nouveau. Je ne parlais pas Espagnol mais, coup de chance, ma candidature spontanée est arrivée au bon moment. A ce moment je suis assez content de cette occasion de découvrir la culture Espagnole, très malheureux de quitter l'Afrique, et plutôt inquiet de retrouver une Europe qui a beaucoup changée pendant les 15 ans que je viens de passer en Afrique.
* * * * *L'Europe et la valeur de l'argent
Je m'y attendais, le retour en Europe est difficile. Malgré des conditions de travail exceptionnelles, j'hésite, un moment ... à ne pas rester. J'ai l'habitude des changements de pays. Les départs sont déchirants. Regrets de ce(ux) que l'on laisse et que l'on est conscient de laisser. Regrets parce qu'il n'y a pas de retour possible. Les amis dans le rétroviseur de la moto en partant de Côte d'Ivoire, ma cuisinière Tunisienne, Hasna, jetant de l'eau derrière ma voiture pour favoriser mon retour, les fêtes d'adieux, les "dernières fois" sont autant de moments qui restent gravés en nous.
Mais, l'arrivée est motivante c'est une remise en question. Les premières semaines on n'a pas d'amis. on pense à ceux laissés ailleurs. Le corps d'un côté, l'esprit de l'autre, il faut patienter et s'intégrer. Les rencontres aidant, la curiosité faisant, la vie reprend ses droits rapidement. Mais, cette fois, c'est plus que ça, c'est l'intérêt même de la vie dans cette Europe du consumérisme qui me questionne.
L'Europe me semble souffrir de futilité, une futilité qui se substitue aux choses importantes. La possession prend le pas sur le contact humain devenu secondaire dans un État qui prend les risques en charge. Cette futilité est la conséquence de l'abondance d'argent mais elle est capable d'aspirer n'importe quelle abondance,elle crée une sensation de pauvreté. On se retrouve dans le paradoxe où, vivant dans les pays les plus riches du monde, les gens se sentent pauvres.
Certains d'entre nous sont capables de continuer à s'émerveiller dans la routine de l'abondance. Malheureusement, ce n'est pas le cas de la majorité pour qui les fruits de l'abondance deviennent des acquis que l'on ne peut qu'améliorer encore pour continuer à s'émerveiller. C'est une spirale sans fin qui est enclenchée, pour le meilleur, parfois, pour le pire souvent.
Bref, tout à mon observation de cette société étonnante et dans le doute sur mes futurs choix, je m'installe dans un camping, pour ne pas trop m'installer. D'abord sous la tente puis dans un mobil home (dans lequel je passerai finalement 3 ans).
A la recherche des valeurs manquantes
En ce début des années 2000 l'Espagne connaît un boom économique majeur et nécessite de la main d'œuvre. Un des secteurs dynamiques et gourmand en emplois est la construction. Cette fortune économique attire des travailleurs de toutes les régions du monde : Afrique du nord, Amérique du sud et pays de l'Est.On se moquait gentiment d'eux en disant qu'ils étaient devenu maçons dans l'avion.Ces travailleurs trouvaient très facilement de l'embauche. Parfois une journée après l'autre, parfois plus, toujours dans des conditions relativement précaires. Ils étaient et restaient clandestins. Le gouvernement Espagnol jouait le jeu avec talent. Vous travaillez, on ne vous ennuie pas trop. Pour être juste il faut préciser qu'il y a eu plus tard une importante vague de régularisation, dont une grande partie de mes amis a profité.
Pour travailler correctement, comprendre et parler un minimum d'Espagnol était plus productif. Les mairies offraient donc des cours gratuits aux volontaires. C'était le cas de celle de mon petit village et arrivant moi aussi en Espagne sans avoir jamais étudié la langue, je me suis immédiatement inscrit.
L'école était une tour de Babel, sur une vingtaine d'élèves nous étions une bonne dizaine de nationalités. Sans autre langue commune que l'Espagnol, qu'aucun d'entre nous ne parlait encore, nous communiquions avec beaucoup de sourires et peu de mots.
La professeure gérait de main de maître, sa disponibilité, sa compassion, sa gentillesse et surtout ses compétences lui permettaient non seulement de mettre à l'aise mais également de faire avancer ce groupe improbable. Rapidement ces rendez-vous bi hebdomadaires sont devenus des moments privilégiés de notre semaine.
Nous sommes devenus amis, rien d'extraordinaire, le sort d'un groupe de nouveaux arrivants dans un pays étranger. Ma situation était confortable, comme fonctionnaire français j'avais des papiers, un salaire ... Leur réalité était bien différente. Rien de tel qu'une adversité à affronter en commun pour renforcer les liens. Notre amitié ne s'est jamais démentie. Nous nous connaissons maintenant depuis plus de 20 ans, années qu'ils ont mis à profit pour régulariser leur situation, créer des entreprises et fonder des familles.
Loin de n'avoir que des moments difficiles en commun, nous avons profité de notre vie de banlieusards Madrilènes. Mon mobile home a connu de nombreuses soirées où se côtoyaient des Marocains qui ne buvaient pas, des Ukrainiens, Finlandais ... qui buvaient trop, des Brésiliens ... la plupart des week end nous explorions les montagnes autour de Madrid, la sierra de Guadarrama et surtout la magnifique sierra de Gredos.
Plus tard j'ai acheté une fourgonnette et nous partions tous ensemble vers les Asturies, Cantabrie ... Clandestins ils ne pouvaient sortir du pays courant le risque du passage de frontière, mais l'Espagne offrait suffisamment de possibilités. Les 6 derniers mois de mon séjour, plusieurs d'entre eux ont eu leurs 1er papiers. Nous avons pu aller dans ma famille en France et dans notre famille d'adoption au Maroc dans le nord du Haut Atlas. Des voyages courts dont nous gardons tous de mémorables souvenirs.
* * * * *Voilà comment j'ai surmonté mon retour dans cette région du monde où l'homme s'est créé un nouveau besoin, le besoin d'argent et même pire, le besoin de toujours plus d'argent. Dans les mois suivants quelques Européens sont venus se greffer à notre groupe hétéroclite mais finalement assez peu. Conchi qui est devenu ma compagne et un couple de jeunes Franco-Espagnol.
* * * * * Fin * * * * *Merci pour votre lecture ✨
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