Sur le chemin de l'Espagne - [ 🇫🇷 ]

Je remonte sur mon vélo devenu le compagnon de mes étés Européens. Direction l'Espagne. J’ai connu l’Espagne dans les années 2000 et je partage mon temps Européen entre les deux pays. Ayant de la famille à Pampelona j’avais choisi de traverser les Pyrénées par Saint Jean Pied de port. Raison moins avouable les cols du pays basques sont moins élevés que ceux de l’Ariège ou des Hautes Pyrénées. C’est dans ce contexte et par le plus grand des hasards que je croise, un soir, la route des pèlerins de Santiago de Compostelle.

J’avais, comme tout le monde, entendu parler du chemin de Compostelle. Mon aversion pour les attroupements, mon niveau de spiritualité passablement limité et mon long éloignement de l’Europe ne m’avaient jamais donné l’opportunité de m’y intéresser. Pourquoi aller marcher surdes étapes plus ou moins belles, incluant même des parties en bord de route ? Pourquoi aller se promener justement là où tant de monde va alors que les Pyrénées offrent une infinité de ressources pédestres plus sauvages et spectaculaires ? Pourquoi aller chercher des réponses à des questions que je ne me pose pas ? Pourquoi ne puis-je trouver le même niveau de réflexion durant les longues heures de pédalage, couché sur un canapé que je n’ai pas encore acheté ou au fond d’une bouteille de rhum ?

Tel était mon état d’esprit lorsque j’ai commencé à croiser les stakhanovistes du coquillage. Traînant leur fardeau de longues journées, bâtons de marche, tête couverte, sac à dos plus ou moins encombrant, les pèlerins se ressemblent et se rassemblent. C’est l’étape dans un gîte dans la campagne de Saint Jean qui m’a permis de découvrir le sujet « de l’intérieur ». D’abord le fait d’être le seul à ne pas faire le chemin est assez curieux, on entre dans une communauté, comme un athée dans une église. Tous les autres clients sont des pèlerins. On me fait d’ailleurs comprendre, très gentiment, que j’ai de la chance d’être accepté ce soir. Pourtant la patronne m’a relancée plusieurs fois depuis ma demande d’information sur son site. Certains refuges sont, semble-t-il, plus exclusifs encore n’acceptant que les pèlerins qui portent leurs bagages eux-mêmes.

On me briefe rapidement, la marque de fabrique du chemin est le tutoiement, la belle affaire quand la moitié des conversations se passent dans la langue de la reine Elizabeth. Peu importe je suis dans la place, douché, hydraté et heureux de l’opportunité de rencontres que me promet cette soirée.

Une après midi paresseuse et très agréable à tenir compagnie au cuisinier m’a fait saliver en plus de m’éduquer sur cette belle région qu’est le pays Basque. Ici on peut s'intégrer facilement si l'on se sent Basque, que l'on s'intéresse à la culture et aux traditions. Apprendre les rudiments ou plus de la langue est un plus. A ce prix un étranger peut-être accepter comme Basque. Si c’est vrai, et je le crois en partie, je trouve cette conception inclusive du régionalisme inspirante.

Mais laissons ces considérations politiques et revenons à nos moutons, pardon à nos pèlerins. L’heure du repas, pris en commun, arrive enfin. Plus affamés les uns que les autres par l’activité de la journée, nous nous réjouissions vivement lorsqu’un dernier obstacle survint : Le tour de table ! Chacun doit décliner son prénom, les raisons pour lesquelles elle ou il est sur le chemin et ce que celui-ci lui apporte. Téléphones en mode avion et commentaires interdits rien de moins. Et oui ce chemin n’est pas seulement une manière d’aller d’un point à un autre, c’est LE chemin, une étape de vie. Respect !

Quoi que mon intérêt se porte plutôt du côté de la cuisine, j’écoute, d’une oreille distraite, les participants suivre l’exemple de la maîtresse de maison. Tel un professeur baissant le ton pour capter l’attention de ses élèves, elle a décliné son histoire, bien rodée, sur un ton monocorde invitant au recueillement. La pauvre récidive chaque soir ! Et c’est parti, chacun y va de sa petite phrase du style : Le chemin te donne et te prends tout, le chemin m’a permis de me reconstruire, sur le chemin je me sens à ma place ...

Certaines idées sont à la mode, pratiques pour ceux qui ne veulent pas se creuser la tête le ventre creux. La principale est sûrement la notion de belles rencontres éphémères. L’esprit malveillant je ne peux m’empêcher de penser à Kersauson qui disait aimer les ports car il n’y restait jamais assez longtemps pour trouver les gens cons. Autre idée en vogue, celle de gens différents faisant le même chemin pour des motifs différents. C’est sûrement vrai mais j’y ai surtout vu des Européens cherchant à passer des vacances différentes qui sont en réalité devenues ultra tendances. Même ceux partis pour le sport se laissent gagner par la mystique du chemin ou peut-être font semblant, pour jouer le jeu.

Ne vous méprenez pas, j’ai passé une excellente soirée, entouré de gens sympathiques qui avaient à cœur de me faire découvrir leur univers. J’aime ce genre de contact, ce partage est ma principale motivation pour voyager.

La suite du repas, qui ne mérite pas d’être narrée ici, fût pourtant la meilleure. Quoi de mieux qu'un bon repas quand on a l'estomac dans les talons ? Pour autant, je suis passé à côté de quelque chose. Où les pèlerins ressentent la diversité je n’ai détecté que ressemblance et instinct grégaire. Où ils trouvent leur paix ou leur sérénité je n’ai discerné qu’endroits sur-fréquentés. Où ils parlent reconstruction j’ai vu une vie simple, faite de plaisirs simples, et qui en elle même est un équilibre. Et si le chemin n’était qu’une façon de retrouver une vie « normale » ? Je vous avais prévenu sur mon niveau de spiritualité.