Vers les espaces infinis du Sahara

@terresco · 2025-08-04 10:01 · fr

Le nord du Burkina Faso, c’est un seuil. Une transition. Une promesse. Ce n’est pas encore le Sahara, mais déjà le paysage change. Les arbres se font plus rares, les touffes d’herbe se dessèchent, les lignes s’étirent vers l’horizon, et l’air devient plus sec. C’est ici que commence le Sahel, cet espace frontière entre le monde végétal et le désert minéral. Un territoire rude, engagé, risqué.

​![ "Afrique-188.jpg"](https://images.hive.blog/DQmevLaKbuDdgAzpEZK3zh6jH6SSBmci4GuGnd2MjKiKG7u/Afrique-188.jpg)

C’est le terrain de jeu idéal pour les Sahariens en herbe que nous étions, ceux qui rêvaient encore de sable et d'aventure. On y croise les premiers dromadaires, qu’on appelle ici, sans trop se soucier de précision zoologique, “chameaux”. Ils apparaissent comme des sentinelles d’un monde plus vaste, plus lent, plus ancien. Le simple fait de les voir avancer, dignes et impassibles, suffit à nous transporter.

Au milieu de cette scène, nous roulions... en R4. La Renault 4L, cette petite voiture populaire dans les années 70, pas vraiment conçue pour les pistes sahéliennes. Mais c’est elle que nous avions en cette 1er année en Afrique de l'ouest. Elle tiendra le coup, loin et longtemps. Dans certaines régions, on la surnomme affectueusement le “scorpion du désert”, un clin d’œil à sa ténacité. Elle avance lentement, mais ne s'arrête jamais.

* * * * *

La progression Sahélienne

Depuis Ouagadougou, nous avions mis le cap au nord, sans trop savoir ce que nous allions trouver. Les premiers kilomètres sont rassurants : une route goudronnée, un peu cabossée, mais roulante. La ville s’éloigne rapidement, et avec elle, le bruit, la circulation, les immeubles bas.

Très vite, le bitume disparaît, et la piste prend le relais. Une piste sablonneuse, creusée de profondes ondulations, les fameuses “tôles ondulées”. Elles ne sont pas seulement inconfortables. Elles sont redoutables. Et ici, elles atteignent une taille que je n’avais encore jamais vue. Une sorte de vague fossilisée, régulière mais brutale. La 4L, avec sa faible puissance, a du mal à atteindre la vitesse qui permettrait de “voler” au-dessus des creux. Elle cogne, vibre, grince. Nous aussi. La poussière s’invite dans l’habitacle. Elle se faufile partout, comme un animal rusé. Elle passe par les interstices, les joints fatigués, les serrures. Elle s’accumule sur le tableau de bord, dans nos sacs, sur nos visages. Nous avons rapidement les cheveux couleur sable et les dents crissantes. Il fait chaud, il n’y a pas de climatisation, et l’air est brûlant.

![ "burkina199X.jpg"](https://images.hive.blog/DQmQgPVmKuwc3dBngSTnJJmdETLg2NQiaqFtKfqy5752cFd/burkina199X.jpg)

Lorsque nous atteignons un campement, où sont garées les dernières Toyota climatisées de quelques touristes encadrés, ce n’est pas vers leurs véhicules que l’on se tourne. Je souris intérieurement quand j'entends les remarques du style, "ça c'est de la voiture, ça passe partout". Ils sont sans se rendre compte dans ce qui se fait de mieux au niveau du 4\*4 mais c'est notre R4 qui attire tous les regards, qui les fait rêver en réalité.. On nous sourit, on nous questionne, on nous prend même en photo ! Il y a, dans cette vieille voiture poussive et poussiéreuse, quelque chose qui suscite l’intérêt. Peut-être parce qu’elle sent la vraie route, le défi modeste, l’effort sincère. L'esprit de l'aventure qui reste vivant dans chacun de nous.

Un jour, alors que nous tentons de traverser un oued asséché, le cauchemar sahélien se produit : nous restons complètement ensablés. Les roues patinent, le moteur râle, le sable s’infiltre partout. Impossible d’avancer ni de reculer. Seul recours : aller chercher de l’aide à pied, sous le soleil, jusqu’au village le plus proche.

Je reviens avec une quinzaine de jeunes du coin, souriants, curieux, bienveillants. Je me remets au volant, pensant qu’ils vont me pousser. Mais non. Ils soulèvent littéralement la voiture à bout de bras, dans un rire collectif, et la déposent, comme un jouet de l'autre côté de l'oued. Cette scène restera gravée. Elle m’arrivera deux fois encore, dans d’autres pays, d’autres voyages. Ce geste de solidarité simple, physique, joyeux.

Les marchés

Mais ce ne sont pas seulement le sable ou les dunes qui rendent ce nord du Burkina inoubliable. Ce sont aussi ses marchés. En apparence, ils ne paient pas de mine. Une place nue, balayée par le vent, quelques étals faits de bois et de tissus, des zones d’ombre précaires. Mais très vite, on comprend : c’est ici que bat le cœur de l’économie locale. Les marchands arrivent de partout, parfois après plusieurs jours de route. À pied, à dos d’âne, en mobylette, en charrette. Ils viennent vendre ou troquer ce que leur terre produit. Céréales, tissus, beurre de karité, artisanat, sel et surtout le bétail. Chaque groupe, chaque région est reconnaissable à ses vêtements, ses bijoux, sa manière de parler. C’est un ballet lent, silencieux, majestueux. Un carrefour humain, une véritable mosaïque.

Le marché aux moutons est le plus significatif. C’est là que se jouent bien des choses. Le prix du bétail donne le ton. Il dicte la santé économique du moment, les tensions, les espoirs. Nous avons rendez-vous ici avec Frédéric, un économiste français envoyé par un organisme international. Il prend des notes, observe, échange. Il établit des statistiques que nous ne comprendrons sans doute jamais, mais qui ont leur utilité.

Avec lui, nous discutons longtemps. Il nous explique que ce marché a une portée qui dépasse largement le village. Il structure des échanges à l’échelle régionale, voire transfrontalière. Le mouton ici, ce n’est pas juste un animal : c’est une unité économique, un symbole de stabilité ou de crise. À travers lui, on lit et on anticipe l’état du pays.

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Les odeurs, les couleurs, les voix, les regards. Tout cela compose une fresque vivante, brute, sans mise en scène, sans folklore. C’est une autre Afrique que celle des brochures touristiques. Plus rugueuse, plus complexe, mais infiniment plus réelle.

Le soir, nous plantons la tente non loin du marché, à côté d’un terrain de foot. Le soleil s’effondre derrière une ligne de dunes timides, presque hésitantes. Mais pour nous, c’est déjà le début du désert. La nuit est tiède, constellée. Les bruits se calment. Seul le souffle du vent fait encore parler la poussière.

Et dans l’ombre tranquille, notre petite R4 repose. Couverte de sable, fatiguée, mais toujours prête pour un nouveau départ.

* * * * * Fin * * * * *

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